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LES FERMIERS-RECEVEURS DES TERRES
Comme cela est déjà signalé plus haut, les véritables "dirigeants" de l’exploitation agricole, séjournant plus ou moins sur place, sont les titulaires du bail des bâtiments de la ferme et des terres attenantes dont le périmètre n’a pas varié dans la période des XVIIe et XVIIIe siècles. Si nous nous contentons de rendre compte de la présence de ces personnages et de leur famille par les simples mentions existantes dans les registres paroissiaux, nous ne disposerions que d’une vue bornée à un siècle (1690
– 1790). Il convient de faire un travail de dépouillement plus large géographiquement, puisque la caractéristique de cette profession est la mobilité aussi bien résidentielle que sociale. En outre, le travail est bien superficiel quand on ne cherche pas à trouver des éléments dans les actes notariés, qu’il s’agisse des baux ou des titres de propriétés des biens possédés à côté de la ferme, les successions, les contrats de mariages. Ce sont tous ces éléments qui nous ont permis de découvrir la continuité des fermiers sans receveurs de terres depuis le début du XVIIe siècle jusqu’en 1791, sans pour cela, en livrer une liste exhaustive.Une fois de plus, pour ce qui concerne Aigremont, c’est à Chambourcy, Saint-Germain-en-Laye et Poissy qu’il convient de chercher les compléments d’information. Ainsi, le premier fermier-receveur dont nous trouvons mention à ce jour a pour nom Michel Dussin (Doucin) et c’est un acte du 15 mars 1665 (A.D.Y. 3E37/104) qui nous fait savoir qu’à cette date, demeurant à Crespières, marié à Françoise Guillemette, il a été receveur de la seigneurie d’Aigremont. En fait, il a détenu ce bail avant 1658. Il décède à Saint-Germain-en Laye le 13 novembre 1665, en l’hôtel de Longueil, âgé de 75 ans et il est inhumé à Chambourcy pour respecter ses dernières volontés.
C’est à la Saint-Martin d’hiver de 1658 que Louis Mahyeu, laboureur de Villiers-le-Mahyeu, succède à Michel Dussin, du fait d’un acte signé le 5 mars 1656 (A.D.Y. 3E20/20). Ce choix a probablement un lien avec le fait que René de Longueil, devenu seigneur de quasiment tout le Pincerais, est également seigneur de Wideville. A la même date, René de Longueil, au nom de messire Guillaume de Longueil son fils, abbé de Conches et prieur commendataire d’Hennemont, donne à bail la ferme de ce prieuré à Bernard Foubert. Ce dernier progressera dans la hiérarchie des serviteurs de Longueil et interviendra à plusieurs reprises dans les actes d’état civil des receveurs d’Aigremont. Louis Mahyeu, fils du précédent et de Marie Leroux, est encore receveur de la terre en 1685. Il paraît, avec ce titre, au mariage de sa fille Marie Mahyeu avec Pierre Crosnier, le 22 janvier 1685 à Aigremont. La famille Mahyeu dispose aussi de la ferme du Poncy et semble l’avoir choisie comme demeure, du moins si l’on en croit une quittance du 17 septembre 1669 et un acte de vente de terres héritées de leurs parents avec Benoît Mahyeu en date du 3mai 1679 (A.D.Y. 3E37/137). Les Mahyeu sont nombreux à Poissy et Chambourcy, à cette époque, sans qu’un lien de famille soit établi entre tous.
A la famille Louis Mahyeu, va succéder pour plus de quasiment quarante ans, une femme ; c’est du moins elle qui assure la continuité : Elisabeth Avisse. Fille d’un marchand demeurant à la Maladrerie, Claude Avisse et de Madeleine Alix, elle se marie à Poissy le 25/10/1683 avec Pierre Delastre, qui devient receveur en 1687. Le couple aura au moins deux garçons, Jean Henry (28/05/1687) et Louis (18/10/1690) mais ce ne seront pas eux qui succèderont à leur père après le décès de celui-ci.
Elisabeth Avisse se remarie le 1er juillet 1696 à Hilaire Duteil à Aigremont. Le nouveau marié vient de Villennes ; il attire dans sa nouvelle paroisse, la famille Lapierre qui fera souche et assure la fonction de receveur jusqu’à sa mort le 2 juillet 1713. Le nouveau couple de receveur aura le temps d’avoir dix enfants, dont quatre seulement parviendront à l’âge adulte. Devenue veuve, Elisabeth, probablement au nom de son fils Charles né le 16/09/1700, assure la charge de receveur jusqu’en 1737. Elle ne mourra que vers 1756 et son fils Charles mourra le 18/12/1791 à Saint-Germain-en-Laye, mais disposant de biens importants à Aigremont, dont la Maison Rouge. Il quitte la paroisse
Le nouveau receveur, Jean (de) Lafosse (1711
– 1762), demeurant au moment de sa prise de possession à la Maladrerie, s’est marié le 7 mai 1731, à Médan, avec Marie Jeanne Thuillier, fille de Noël, receveur du lieu et de… Marie Duteil. Le bail renouvelé le 5 juin 1744 (A.N. XXVI-422) est manquant dans le registre du notaire. Pendant son fermage, Jean Delafosse voit mourir son père Jean Baptiste le 14 décembre 1737. Il quitte Aigremont pour devenir garde de la porte du roi et meurt en 1762 à Villennes. Parmi ses sept héritiers, on trouve Pierre François Delafosse, principal clerc chez Me Delamanche, notaire à Paris, rue des Prouvaires.Le 28 décembre 1752, un bail à ferme est signé entre Louis Armand de Seiglière et Pierre Beuzeville demeurant à Médan, pour une durée de neuf ans, à compter de la Saint-Martin 1755 (A.N. XXVI-467), soit presque trois ans à l’avance ! Le même jour, les mêmes signent un autre bail concernant Poncy, Lagny, Bethemont. Ceci confirme l’intérêt d’étudier les fieffées fermes du Pincerais en parallèle les unes des autres. La famille Beuzeville, elle-même, fait partie de ces dynasties solidement implantées dans la région et alliée à nombre d’entre elles.
Le 15 mars 1762, c’est le fils de Pierre, Jean Louis Beuzeville qui signe le nouveau bail de neuf ans pour la seule ferme d’Aigremont. La ferme de Poncy est donnée à bail le 1er août 1762 (A.N. XVI-519) à François Rousseau et Marie Thérèse Aurant. Jean Louis Beuzeville se marie à Aigremont le 23 juillet 1764 avec Geneviève Gallois, fille d’un laboureur du terroir. Elle lui donne un fils, Jean Etienne, qui ne se fixe pas à Aigremont ; nous le retrouvons en l’an VI à Saint-Rémy-l’Honoré, après s’être marié avec Louise Marie Victoire Caffin d’une famille qui vient de se fixer dans la région d’Epône et qui donnera de nombreux chefs d’exploitation des grandes fermes de la région jusqu’à nos jours. Jean Louis signe à deux reprises le renouvellement du bail : 3 octobre 1771 (A.N. XXVI-596), 12 octobre 1781 (A.N. XXVI-699). La description des lieux est similaire à celle trouvée dans l’adjudication du bien national. Geneviève Gallois décède le 13/12/1784.
C’est Pierre François Purget, marié à Poissy depuis le 18/02/1783, avec Françoise Rousseau, fille du fermier de Poncy, qui reprend le bail en 1789. La Révolution va redistribuer les cartes en particulier dans le domaine de la propriété des grandes exploitations agricoles d’Ile-de-France. Tous les seigneurs déchus de leurs privilèges vont, pour certains, perdre leur droit de propriété du fait de leur départ à l’étranger ou de leur condamnation à mort avec confiscation de leurs biens.
Le 9 pluviôse an III, au district de Saint-Germain-en-Laye, est dressé procès verbal de la vente des immeubles de Soyecourt le Jeune ; il s’agit de la ferme d’Aigremont dont la description a été donnée plus haut. A la soixante-deuxième extinction de la bougie, le bien est adjugé pour la somme de 222 400 livres (francs) au citoyen Letrotteur. Ce dernier n’est que l’homme de paille de Pierre François Purget demeurant à Poncy, mais également fermier du lieu. La famille Purget, implantée depuis un demi-siècle à Morainvilliers, est alliée aux Lavoisier, Legoult, Rousseau. Le frère du nouveau propriétaire, Jean Baptiste Purget est marié depuis 1791 à Françoise Julie Douet, fille de l’homme de confiance de monsieur de Monville au Désert de Retz.
Pierre François Purget se voit reproché d’abuser de sa fonction de maire en faisant paître ses moutons sur les communaux sans verser de rétribution comme cela avait été conclu avec le maire Jean Charles Renard. L’affaire sera soulevée par son successeur à la mairie François Toussaint Fourchy.
En 1830, après quarante ans de règne sans partage et six ans après le décès de sa femme, Pierre François décide de partager les biens de la communauté entre ses six filles qui, suite à leur mariage, ont la plupart quitté Aigremont. Ainsi, on trouve respectivement Mme Morisset à Evreux, Mme Legendre à Poissy, Mme Martin à Versailles, Mme Debauve aux Mureaux, Mme Dufour à Billancourt, Mme Guignard à Feucherolles. Voyant sa fin approcher, le patriarche, par son testament reçu par Me Foucault à Fourqueux le 14/12/1834 (A.D.Y. 3E37/51), remanie la répartition des biens. Il a, semble t- il, essayé de ne pas risquer de désavantager l’une ou l’autre et a fait des lots, où terres et bâtiments sont par lieu, divisés entre tous. Les héritiers se sont empressés dès 1835 de transformer cette répartition en revendant de l’un à l’autre pour reconstituer une ferme d’Aigremont homogène dans les mains de l’un d’entre eux, Jean Noël Legendre. Celui-ci, après le retrait d’Aigremont des héritiers Fourchy , devient le nouveau principal propriétaire-exploitant agricole de la commune. Sa fille, Louise Françoise Legendre, épouse du Pisciacais Victor Bernard Lecomte, a pour fermier M. Prunier. Elle est la dernière représentante de cette dynastie locale des anciens fermiers-receveurs. A sa mort, les héritiers nombreux et dispersés préfèrent vendre ce bien par adjudication en 72 lots, le 24 août 1919. Un certain nombre d’entre eux fera l’objet de regroupements. En particulier, autour des bâtiments de la ferme qui sont acquis par M. Haloche.
Au fil des années et des héritages, ces lots sont eux même partagés ; les bâtiments vétustes sont détruits ou transformés. Enfin, l’extension urbanistique de la commune s’effectue progressivement sur ces terrains de part et d’autre de la rue de l’Abreuvoir, en attendant la prochaine ex tension le long de la route de Quarante-Sous.
Ainsi s’achève ce rapide parcours de huit siècles d’utilisation et de transformation d’un domaine foncier. Mais en conclusion, nous tenons à bien souligner que ce texte ne se veut qu’un cadre chronologique qui reste à remplir avec le récit des actes qui s’y sont déroulés. Nous disposons des généalogies et des actes énumérés dans ce texte.
Pierre-Emile Renard
Octobre 2004
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